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Juliette Fropier : L’IA frugale, une opportunité stratégique pour nos territoires

Cet article a été rédigé par Christophe Guillemin

Crédits photos : Juliette Fropier, Cheffe de projet intelligence artificielle SRI/ECOLAB au CGDD - Crédit Photo : Jean-Michel Sicot

L’intelligence artificielle (IA) se déploie dans les collectivités dans une grande variété de domaines. Alors que les services passent en phase opérationnelle, une question devient incontournable : comment développer un service d’IA ayant un minimum d’impact environnemental, autrement une « IA frugale » ? Eléments de réponses.

Entretien avec Juliette Fropier, Cheffe de projet intelligence artificielle SRI/ECOLAB au Commissariat Général au Développement Durable.

L’intelligence artificielle (IA) se déploie dans les territoires dans de nombreux domaines, de la relation citoyenne à l’urbanisme, en passant par la rédaction de documents ou la vidéoprotection. Alors que les premiers services émergent, une question revient souvent dans les territoires : comment déployer une IA économe à la fois en énergie et en eau, autrement dit, une « IA frugale » ?

Ce concept est issu initialement du développement informatique et était axé sur l’optimisation des performances des premiers algorithmes d’IA. Aujourd’hui, l’IA frugale repose sur une approche innovante, conciliant technologie et respect des ressources, particulièrement prisée dans le contexte actuel de sobriété numérique.

Qu’est-ce que l’IA frugale exactement ?

En juin dernier, nous avons publié le premier référentiel français sur l’IA frugale. Cette spécification AFNOR est le résultat de 6 mois de travail avec 150 contributeurs, issus des entreprises, de la recherche, des associations et des administrations. Il propose la définition suivante : la frugalité d’un service d’IA vise à réduire globalement les besoins en ressources matérielles et énergétiques et les impacts environnementaux associés via une redéfinition des usages ou des exigences de performance, ou encore via une réorientation des besoins du producteur du système d’IA au fournisseur du service considéré.

Un service frugal d’IA répond donc à trois conditions. La première est que la nécessité de recourir à un système d’IA plutôt qu’à une autre solution moins consommatrice pour répondre au même objectif ait été démontrée (il n’existe pas de solution alternative plus économe en ressources). La deuxième est que de bonnes pratiques soient adoptées par le producteur, le fournisseur et le client d’IA pour diminuer les impacts environnementaux du service à chaque étape du processus. La principale bonne pratique reste d’intégrer la notion d’IA frugale dès le démarrage des projets, lors de la définition des besoins. Elle ne doit pas arriver en cours de développement.

Enfin, les usages et les besoins doivent rester dans les « limites planétaires », un concept scientifique qui nous rappelle les seuils écologiques à ne pas dépasser pour éviter des effets irréversibles sur l’environnement global. En Europe, ce référentiel a suscité un grand intérêt et place la France en tête des pays les plus avancés en matière d’expertise et de méthodologies sur l’IA durable.

Comment se situe la France sur le sujet de l’IA frugale ?

La France est en première ligne dans ce nouveau domaine. Depuis plusieurs années, le numérique responsable est un axe majeur des politiques publiques françaises. La loi relative à la réduction de l’impact environnemental du numérique (loi REEN), adoptée en 2021, est un exemple frappant de cet engagement. Cette loi, unique à l’échelle mondiale au moment de son adoption, a permis à la France de se positionner comme une nation pionnière sur la question du numérique durable.

Cette volonté d’aligner développement technologique et respect de l’environnement s’est étendue à l’IA. Dès 2021, dans le cadre de la stratégie nationale IA, l’IA frugale a été identifiée comme l’un des trois domaines prioritaires permettant à la France de se différencier des autres puissances et de développer des nouveaux marchés où elle serait particulièrement compétitive, aux côtés de l’IA embarquée et de l’IA de confiance. Cet engagement s’est concrétisé par le lancement, en 2022, de l’appel à projets : « Démonstrateurs d’IA pour les transitions écologique et énergétique » (DIAT), piloté par l’Ecolab du Ministère en charge de la transition écologique et opéré par la Banque des Territoires. Ce programme, qui a permis d’accompagner des projets innovants sur tout le territoire, a non seulement confirmé la pertinence de cette approche, mais a aussi accéléré le développement de solutions concrètes. Il y a eu une première vague de lauréats en 2023 puis une deuxième en 2024 pour un total de 12 lauréats.

Quels sont les faits marquants mis en lumière par cet appel à projets ?

Un des enseignements de cet appel à projets est que l’IA frugale concerne une grande variété de domaines de l’action publique, de la mobilité à l’urbanisme, en passant par la transition écologique et énergétique du territoire. Par exemple, le projet  » Prédict’Air « , porté notamment par l’établissement public territorial Paris Ouest La Défense, IFP Energies nouvelles (IFPEN), Air&D et l’opérateur Orange, vise à prédire l’impact des mobilités sur la qualité de l’air grâce à des données anonymisées de téléphones mobiles (flux de déplacements) associés avec des informations de qualité de l’air de capteurs terrain. Ici, l’IA n’est pas utilisée pour collecter de nouvelles données, mais pour exploiter celles qui existent déjà, sans ajouter de nouveaux capteurs. Cette approche permet de limiter l’empreinte carbone du projet tout en fournissant aux décideurs des informations précieuses pour ajuster les politiques publiques.

Ce projet est lauréat de la deuxième vague des DIAT. Il y a aussi des projets dans de multiples domaines comme la gestion de l’eau, l’énergie ou encore la biodiversité. Ils intègrent tous cette approche de limiter la quantité de data et d’équipements exploités, prouvant ainsi qu’il est possible d’allier technologie et responsabilité environnementale.

En quoi l’IA frugale peut-elle être utile aux collectivités ?

Si les entreprises et les laboratoires de recherche s’intéressent de plus en plus à l’IA frugale, les collectivités locales ont aussi tout à y gagner. Pourquoi ? D’abord, parce que l’IA frugale répond à un besoin croissant d’intégrer la transition écologique dans les politiques publiques. Dans un contexte où les objectifs de développement durable s’imposent comme des impératifs incontournables, les collectivités doivent adopter des solutions qui minimisent leur impact environnemental, tout en assurant un service efficace aux citoyens.

Ensuite, l’IA frugale permet de réaliser des économies substantielles. Une IA optimisée et frugale ne signifie pas nécessairement une IA moins performante, bien au contraire. En utilisant des algorithmes allégés, des infrastructures rationalisées, et en exploitant des données déjà disponibles, les collectivités peuvent réduire leurs coûts de fonctionnement tout en améliorant l’efficacité de leurs services publics.

Enfin, l’IA frugale renforce l’adhésion des citoyens aux projets technologiques. Les questions environnementales sont en effet devenues centrales pour une large partie de la population. En déployant des technologies plus responsables, les collectivités locales répondent à une attente forte de leurs administrés, qui sont de plus en plus vigilants sur les questions d’impact écologique. Lors d’une convention citoyenne sur l’IA, organisée par la métropole de Montpellier, j’ai pu constater à quel point cette sensibilité était marquée : les citoyens étaient ravis de découvrir que les acteurs publics prenaient en compte l’impact environnemental des technologies d’IA qu’ils déploient.

Au final, intégrer de l’IA frugale, n’est-ce pas une contrainte ?

Pour les collectivités, l’IA frugale permet de participer à l’effort général de sobriété numérique. De plus, en adoptant des technologies plus responsables, elles peuvent renforcer la confiance des citoyens et des agents publics dans les services proposés. Et en réduisant la taille des modèles, la surface d’attaque pour les cybercriminels est également réduite, ce qui est positif en matière de cybersécurité. L’IA frugale ne doit donc pas être perçue comme une contrainte, mais bien comme une opportunité.

Cet article vous est proposé par Smart City Mag

Smart City Mag est un média spécialisé qui informe et accompagne les acteurs publics et privés sur les innovations et les solutions numériques pour le développement des territoires intelligents et durables.

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