Dans les collectivités, comme dans les entreprises, les terminaux sont les éléments du système d’information ayant le plus d’impacts environnementaux. Construire une stratégie de sobriété numérique passe donc nécessairement par des actions concrètes portant sur ses équipements, comme rallonger leur durée de vie, réduire leur nombre et miser sur des terminaux robustes et réparables.
Entretien avec Frédéric Bordage, Fondateur du collectif Green IT, experts de la sobriété numérique et du numérique responsable
La fabrication des terminaux (ordinateurs, écrans, smartphones) constitue la première source d’impact environnemental du numérique dans le monde et en Europe, bien avant les réseaux de communication ou les datacenters. Selon l’indicateur d’impact observé (parmi les 16 préconisés par la Commission européenne) les équipements concentrent de 62 à 88 % de l’empreinte environnementale du numérique en Europe, devant les datacenters (5 % à 24 % des impacts) ou les réseaux (5 % à 15 % des impacts). Repenser l’achat et l’exploitation des terminaux aura donc un impact important sur le bilan environnemental global d’un territoire.
Une utilisation plus intensive que dans le public
Les terminaux sont omniprésents dans les collectivités territoriales, avec une utilisation intensive par les agents, soit huit heures par jour et plus de 200 jours par an. Contrairement au grand public, où la phase de fabrication des terminaux prédomine largement, dans une collectivité leur utilisation génère jusqu’à 60 % des impacts selon les derniers résultats du Benchmark Green IT 2024. Cela soulève un dilemme : comment concilier les besoins et demande des agents, avec les impératifs de réduction des impacts environnementaux ?
Allonger la durée de vie des équipements
La première solution consiste à prolonger la durée de vie des équipements. Il ne s’agit pas de décider simplement qu’un ordinateur sera utilisé pendant 7 ans au lieu de 5, par le même agent. Il faut plutôt jouer sur le réemploi des équipements, en provenance ou vers l’extérieur de l’organisation, afin d’allonger au maximum sa seconde vie.
Cela passe par deux grandes actions. En amont, la première action consiste à acheter des équipements reconditionnés. En vertu de la loi Anti Gaspillage et pour l’Économie Circulaire (AGEC), les collectivités doivent acquérir au moins 20 % d’équipements reconditionnés, permettant ainsi de diviser par deux l’impact environnemental lié à leur fabrication. En aval, la deuxième action consiste à donner une seconde vie aux équipements. La massification et la systématisation du réemploi permettent elles aussi de diviser par deux les impacts environnementaux des postes de travail car le bilan environnemental de l’équipement sera réparti entre les différents utilisateurs, ceux l’ayant utilisé avant son arrivée dans la collectivité et ceux l’utilisant après. Pour mettre en place cette démarche, il faut se tourner vers les reconditionneurs professionnels. Evidemment, on peut très bien cumuler ces deux actions : acheter 20 % d’équipements reconditionnés et s’assurer que les 80 % d’équipements neufs restants auront une seconde vie.
Enfin, il est aussi possible d’allonger la durée de vie en interne en instaurant une politique de réallocation. Les ordinateurs devenus obsolètes pour certaines tâches peuvent encore être utilisés par d’autres agents pour des tâches moins exigeantes en termes de mémoire vive ou de puissance du microprocesseur.
Réduire le nombre d’équipements
L’autre grand levier pour réduire les impacts environnementaux est de limiter le nombre d’équipements utilisés, en particulier les écrans. Bien qu’utile dans certains cas spécifiques, l’utilisation de plusieurs écrans par agent est souvent superflue. En limitant cette mauvaise pratique, on évite d’encourager une culture du suréquipement. C’est d’autant plus important que les écrans les plus récents de type LED et OLED ont jusqu’à 4 fois plus d’impact environnemental que les écrans TFT à rétroéclairage CCFL. Ajouter un nouvel écran LED revient donc à ajouter 4 écrans plats d’ancienne génération ! La règle en la matière est de ne pas changer un écran qui fonctionne, surtout s’il n’utilise pas la dernière technologie d’affichage. Et de ne pas attribuer systématiquement un premier ou un second écran externe, mais de le faire au cas par cas.
Des critères d’achat plus exigeants
Afin d’allonger la durée de vie des équipements dès l’achat, il est aussi crucial de privilégier des matériels écolabellisés et issus de gammes professionnelles, plus robustes et conçus pour être réparés facilement. Cela permet de faciliter le reconditionnement et le réemploi des ordinateurs. Un indice de réparabilité supérieur à 8 est aussi un gage d’une plus grande réparabilité. Il est obligatoire pour tous les smartphones et ordinateurs portables. Le niveau de réparabilité devient ainsi un indicateur clé dans le choix des équipements, garantissant leur potentiel de reconditionnement. Afin de garantir une seconde vie longue, il peut être judicieux de sélectionner des configurations légèrement surdimensionnées pour la première vie. Cela a un double avantage : plus de confort et de productivité pour vos utilisateurs et une durée de seconde vie plus longue.
L’impact des smartphones
Même si leur impact est moindre comparé aux ordinateurs et aux écrans, les smartphones utilisés dans les collectivités doivent aussi être intégrés à cette politique de sobriété. Ici, l’enjeu réside surtout dans l’acquisition d’équipements dont la durée de mise à jour du système d’exploitation est la plus longue possible. Afin de pouvoir conserver ces équipements longtemps, il est impératif que les fabricants garantissent des mises à jour régulières et sur une période longue. En dessous de 5 ans de mise à disposition des mises à jour de conformité (sécurité et corrections de bugs), le smartphone ne peut pas être considéré comme plus réparable et durable. Cette remarque sur les systèmes d’exploitation vaut d’ailleurs pour les ordinateurs.
Des outils pour mesurer les impacts
Afin de s’assurer que toutes ces actions portent leurs fruits en termes de gains environnementaux, il est primordial d’évaluer l’impact de cette politique de sobriété concernant les terminaux. La méthode préconisée par l’ADEME et la Commission européenne est l’analyse du cycle de vie (ACV). En évoquant clairement « l’empreinte environnementale », un terme technique qui désigne la somme des impacts environnementaux, l’article 35 de la loi REEN (Réduire l’Empreinte Environnementale du Numérique) oblige d’ailleurs les communes de plus de 50 000 habitants à quantifier les impacts environnementaux de leurs systèmes d’information et de leur territoire via une ACV. Grâce à cette approche standard et détaillée, les collectivités peuvent évaluer la part des terminaux dans le bilan environnemental global de leurs systèmes d’information. Elles peuvent compléter ce suivi avec des indicateurs tels que la durée de vie des équipements, le taux de réemploi et la durée moyenne de la seconde vie, ou encore la baisse du nombre d’équipements par agent. Les collectivités qui ne savent pas comment mettre en place ces actions de suivi peuvent se tourner vers le Benchmark Green IT qui leur propose un accompagnement individuel basé sur les contraintes de l’article 35 de la loi REEN et sur les Référentiel de Catégorie de Produit (RCP) « système d’information » de l’ADEME. Elles ont ainsi la possibilité de se comparer aux autres collectivités sur l’ensemble des indicateurs liés aux postes de travail.
Une approche pragmatique et rentable
En conclusion, bien que l’impact environnemental des terminaux baisse progressivement, notamment grâce aux bonnes pratiques déployées depuis des années, il reste un enjeu clé dans la stratégie de sobriété numérique des collectivités territoriales. Contrairement aux serveurs ou aux réseaux, la gestion des terminaux offre des leviers d’action simples, peu coûteux et immédiats. Limiter le nombre d’équipements, prolonger leur durée de vie et favoriser leur réemploi sont autant de mesures qui, sans nécessiter de technologies complexes ou d’investissements dispendieux, permettent de réduire significativement l’empreinte environnementale du numérique dans les collectivités… tout en améliorant les finances de la DSI