Afin de mieux comprendre l’utilité d’un jumeau numérique pour une collectivité territoriale, nous sommes allés à la rencontre d’Hervé Halbout, Consultant SIG, modélisation 3D des territoires, BIM. Il est géographe, cartographe et géomorphologue de formation.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste un jumeau numérique territorial ?
Au sens générique, le terme de jumeau numérique existe depuis relativement longtemps, notamment dans le secteur de l’industrie où il désigne généralement le double numérique (virtuel) d’un ou plusieurs objets. Dans ce cas, il s’agit le plus souvent d’une modélisation en 3D fine, qui intègre de nombreuses données techniques et permet, par exemple, de lancer la production d‘une automobile dans une usine.
Le jumeau numérique territorial présente quelques différences. Il peut être modélisé en 2D ou en 3D et permet la représentation d’un territoire plus ou moins grand, pouvant aller d’un bâtiment à un quartier, voire à un département tout entier. Certes, les modélisations 3D ne sont pas nouvelles dans les territoires, puisque nombre d’entre eux en ont réalisé dès les années 2005-2010 pour des besoins de concertations citoyennes ou de communication. Mais les jumeaux numériques vont plus loin, ce sont des supports plus vivants, mis à jour en permanence, en fonction de l’évolution des infrastructures, des réseaux et des bâtiments. Surtout, les données qu’ils contiennent peuvent être croisées avec des données externes (météo, circulation routière…) afin de révéler des interactions ou de simuler les impacts d’un aménagement urbain envisagé, par exemple.
Dans le rapport de Valérie Nouvel « Territoires connectés et durables », remis au gouvernement en octobre 2023, le jumeau numérique territorial est décrit comme un outil indispensable pour l’aménagement du territoire et la transition écologique. Ce rapport est particulièrement intéressant, car il synthétise les différentes dimensions d’un projet de territoire connecté et suggère que le jumeau numérique territorial puisse devenir une sorte de colonne vertébrale des outils numériques utilisés.
Précisément, qu’est-ce que le jumeau numérique territorial peut apporter à une collectivité ?
Globalement, un jumeau numérique territorial permet de visualiser, comprendre, simuler, décider et agir. Il apporte une composante visuelle et cartographique particulièrement intéressante pour les élus et constitue un outil très performant d’aide à la décision. Ainsi, il peut permettre d’optimiser la gestion d’un bâtiment ou d’un réseau. Par exemple, grâce aux données remontant d’un réseau d’eau et à la visualisation de son tracé, il est plus facile en cas de fuite d’identifier et de fermer les vannes concernées, mais aussi de prévenir les utilisateurs de la coupure momentanée. En matière d’urbanisme, l’impact potentiel de l’ajout d’un bâtiment dans un quartier peut être simulé et présenté aux citoyens (maîtrise d’usage).
Cependant, pour qu’un jumeau numérique puisse donner sa pleine mesure, il est indispensable que les Services de la collectivité travaillent ensemble à sa constitution et à sa mise à jour. Sa pertinence repose sur la mise en collaboration de tous les acteurs concernés (y compris des professionnels et organismes externes), afin de tenir à jour la base de données associée. En effet, sur une même modélisation vont être regroupées et croisées des données issues du SIG (cadastre, réseaux, voirie), mais aussi des bâtiments, des infrastructures (avec des informations précises sur les équipements et matériaux utilisés), etc.
Par exemple, lorsqu’un bâtiment est modélisé en 3D (à travers un processus collaboratif BIM), sa maquette numérique est associée à une base de données détaillée (pour une porte coupe-feu, on peut connaître les normes techniques, les dimensions…). Il faut tenir à jour cette base de données afin de faciliter les interventions qui pourront être faites tout au long du cycle de vie du bâtiment. La notion de collaboration est donc primordiale.
Quels sont les principaux cas d’usage d’un jumeau numérique territorial ?
Aujourd’hui, le dérèglement climatique constitue la problématique principale à l’échelle d’un territoire et il nécessite une stratégie d’adaptation. De nombreuses communes sont concernées, essentiellement par les risques d’inondation, d’incendie, les risques industriels, de submersion marine, etc. Les jumeaux numériques territoriaux permettent de mieux anticiper ces aléas, en croisant les données de métiers différents et en générant des analyses transversales. Agir face à la crise climatique, c’est indispensable, mais si on peut anticiper c’est mieux. L’enjeu est d’être capable d’évaluer ce qui se passe sur un territoire et de prévoir des aménagements adaptés, et parfois d’éviter des erreurs d’aménagement qui peuvent s’avérer dramatiques, comme on a pu le voir à la Faute-sur-mer (tempête Xynthia en 2010) ou dans la vallée de la Vésubie (tempête Alex en 2020), par exemple.
Le croisement de données permet de simuler et d’analyser les impacts que pourrait avoir un projet d’urbanisme. Par exemple, les jumeaux numériques aident à répondre à la formation d’îlots de chaleur, pour éviter ou lutter contre ce phénomène résultant de certains types d’aménagements urbains.
Pour résumer, à l’échelle d’un territoire, les jumeaux numériques permettent de faciliter l’adaptation au changement climatique, la gestion des risques (incendie, pollution, inondation, submersion marine, instabilité des sols…), la planification urbaine (choix des lieux d’aménagement, gestion des îlots de chaleur, gestion du bruit…), la gestion des réseaux souterrains, les mouvements de sols, l’implantation d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques, et même d’aborder les problématiques assurantielles…
Pour un bâtiment ou une infrastructure, ils permettent notamment d’améliorer son exploitation et sa maintenance (dont le cycle de vie), son implantation dans un territoire (choix du lieu, gestion des accès, de l’environnement immédiat…), le réaménagement d’un immeuble, la gestion des risques ou encore la sécurité (évacuation de foule …).
De quelle façon mettre en place un jumeau numérique territorial ?
Un projet de jumeau numérique intègre nécessairement une composante informatique. Mais c’est avant tout un projet de territoire au sens large, qui implique les élus et les Services d’une collectivité : gestion des bâtiments, de la voirie, de l’eau, de l’assainissement, de l’environnement, le SIG, l’environnement… Tous ces métiers sont concernés et doivent travailler ensemble, alors qu’ils fonctionnent encore souvent en silos dans bien des territoires.
Depuis mars 2024 un groupe de travail national sur les jumeaux numériques territoriaux a été mis en place, à l’initiative de MINND2050 (www.minnd2050.fr), du CNIG (Conseil National de l’Information Géolocalisée) et de l’IGN. Il a vocation à faire travailler ensemble des communautés métiers très diverses (le numérique, le BTP, la géomatique…) sur les problématiques de vocabulaire, de cas d’usage, d’interopérabilité et de standardisation des données. Les jumeaux numériques étant des outils indispensables pour l’aménagement du territoire, il convient d’éviter qu’ils ne soient considérés que comme un effet de mode auprès des élus.
En matière d’homogénéisation, il faut noter que la démarche engagée par l’IGN et le CEREMA pour fabriquer le socle du jumeau numérique de la France est intéressante, car elle peut amener les collectivités à utiliser un même référentiel de données, pour y superposer ensuite leurs propres données métier, en fonction de leurs besoins. Cela permettra également d’obtenir une véritable continuité numérique d’un territoire à un autre.
Complément Banque des Territoires : Les AAP TID et DIAT ont financé des jumeaux numériques locaux, aidant les entreprises et les collectivités territoriales à adopter des technologies avancées. Ces répliques virtuelles simulent des processus réels, permettant d’anticiper les problèmes et d’améliorer l’efficacité. Par exemple, une ville peut prévoir les reports de trafic en cas de fermeture ou de reconfiguration d’un axe de circulation. L’AAP TID a soutenu des projets industriels innovants, tandis que l’AAP DIAT a favorisé des solutions numériques pour la gestion urbaine.
